Il serait prétentieux et voué à un échec certain que de vouloir résumer la vie d’un centenaire en quelques lignes, quelques minutes…
Pensez donc, M BARBERY est né au début du XXe siècle, période
où feu Jules Verne et son voyage vers la Lune n’était que la plus grande des fictions… aujourd’hui on explore la planète Mars et on repousse les limites de l’univers.
où l’aviation en était encore à ses balbutiements… aujourd’hui des navettes spatiales sont en fonction.
où la télévision en France n’allait faire son apparition que 35 ans plus tard. Aujourd’hui des images du monde entier sont déversées en continu via les satellites en nombre toujours croissant…
Où tout s’accélère.
C’est quelque part un mérite que de continuer à trouver sa place dans un monde de changements permanents.
Alors comment voulez-vous résumer, en étant exhaustif, 100 ans de la vie d’un homme dans un monde qui accélère toujours ?
L’important est que M BARBERY ait traversé ce siècle pour arriver jusqu’ici afin de lui souhaiter un excellent anniversaire et de l’accompagner au départ de sa cent unième année.
L’important est de révéler aussi le maître d’école qu’il a été. Et ça, sa famille ne l’a pas vécu. Et ce sont bien ses anciens élèves qui peuvent le faire le plus fidèlement.
Vous avez compris que je viens de fermer la parenthèse « maire de Bauvin » pour ouvrir celle d’ancien élève de M. BARBERY .
C’est en septembre 1968 que j’entrais dans votre classe M. BARBERY en CM2 en même temps que trente autres garçons la plupart revêtus d’un tablier acheté chez Fifine et équipé du strict nécessaire en matière de matériel scolaire acheté lui, chez Pauline BAILLON.
C’était l’époque où l’école était un sanctuaire de l’instruction et des apprentissages.
L’époque où nos parents nous confiaient à l’instituteur, remplis de confiance et de respect à son égard.
L’époque où seuls le jeudi et le dimanche étaient jours de relâche puisque nous travaillions même le samedi jusqu’à 16 h 30.
Et chez M. BARBERY, bingo ! Il y avait l’étude pour tout le monde jusqu’à 17 h 30 (sauf le samedi).
Faites le compte, nous étions à 34 heures semaine contre 24 aujourd’hui pour les élèves qui ne sèchent pas le samedi matin.
Le ton était donné d’entrée : l’écriture devait être parfaite, les lettres devaient à la fois respecter les normes (2 ou 3 interlignes en haut selon les lettres et 2 en bas pour les lettres qui descendent) avec les pleins et les déliés. Nous écrivions à la plume et à l’encre violette.
Inutile d’essayer quelque fantaisie, une lettre mal faite et nous en avions 200 à reproduire pour le lendemain, et ce en plus des devoirs et des leçons. Ne vous essayez plus à ce genre de punition de nos jours si vous ne voulez pas retrouver les pneus de votre voiture crevés le lendemain.
Des leçons qui faisaient l’objet d’un contrôle noté chaque matin sur un quart de feuille.
Ce contrôle systématique était un rituel et nous mettait une pression terrible parce que tout comptait pour le bulletin qui était remis à la fin de chaque période avec notes, moyennes et classement.
Un matin cependant, relâche, décontraction, cool comme diraient les plus jeunes aujourd’hui… nous avions visite médicale à la « goutte de lait » dès la première heure.
Arrivés à la « goutte de lait » nous nous installâmes sur les bancs en attendant le médecin ou l’infirmière…
Nous échappions au contrôle matinal…du moins le croyait-on.
C’est alors que M BARBERY sortit d’une poche de sa blouse 31 quarts de feuilles et 31 crayons de bois d’une autre poche pour nous faire faire cette interrogation quotidienne…….sur les bancs de ‘’ la Goutte de lait ‘’
Comme disent les élèves aujourd’hui, cassés ! dég ! véner !
Nous venions de comprendre que rien ne détournerait notre maître de ses missions « c’est pour vous plus tard » nous répétait-il.
Alors chaque jour était consacré au respect du mille- feuille qui figurait sur l’emploi du temps affiché au fond de la classe.
Une séance de français une séance d’arithmétique une séance de français une séance d’arithmétique avec tout ce que cela induit : la dictée non préparée et ses questions de dictée, les verbes les plus complexes à tous les temps de conjugaison, la grammaire avec ses analyses logiques et la composition française avec ses sujets du style : « C’est jeudi, il pleut, vous vous ennuyez, racontez…. » (il fallait vraiment avoir de l’imagination…)
Ce savoir accumulé, nous entrions en sixième avec l’assurance d’être suffisamment prêts et nous provoquions l’étonnement de nos professeurs quand ils s’apercevaient que nous savions ce qu’était une proposition elliptique…
Le calcul et l’arithmétique nous réservaient également de grands moments d’anthologie : les règles de trois et les quatre opérations avec des virgules partout et à tous les étages n’avaient plus de secret pour nous.
Les problèmes proposés quotidiennement étaient le reflet de quelques dysfonctionnements ou désagréments de la société d’alors dont certains prolongements perdurent aujourd’hui.
Nous étions témoins et victimes des problèmes de la SNCF avec ses trains : celui qui partait de Lille par exemple et l’autre qui partait de Perpignan, même pas à la même heure, ne roulant pas non plus à la même vitesse et on demandait aux petits Bauvinois de calculer à quelle heure les deux conducteurs allaient se faire signe en se croisant dans le tunnel de Vierzon…..
Autre problème toujours récurrent, celui de la nécessité de trouver un plombier en urgence quand on constate que le robinet de la baignoire fuit à raison de 352 millilitres par jour et que le bouchon du système d’évacuation n’est pus parfaitement étanche puisqu’il laisse s’échapper 1,25 centilitre d’eau par heure….On nous demandait alors dans quel délai pouvait intervenir le plombier débordé avant que l’on soit obligé de vider partiellement cette baignoire pour qu’elle ne déborde elle-même !
Quelle idée aussi a eue ce jardinier en décidant de construire une citerne enterrée dans son jardin ?! S’il l’avait construite cubique, on aurait pu lui faire ses calculs de volume rapidement mais non, il a eu l’idée de la construire cylindrique et de nous obliger à intégrer PI dans nos formules de calcul et avec M .Barbery, PI ce n’était pas 3,14 mais 3,1416, d’où quelques efforts supplémentaires pour satisfaire l’exigence de notre maître.
Bien sûr, je me suis permis de forcer le trait en ajoutant de la complexité à ces problèmes déjà difficiles de trains qui se croisent ou de robinets qui fuient mais cela uniquement pour rappeler le degré d’exigence de notre maître.
Exigeant vis-à-vis de nous mais davantage encore vis-à-vis de lui-même.
Absolument rien n’était négligé tout était vérifié et corrigé par ses soins. La faute oubliée par l’élève n’échappait pas à son œil vigilant et cela m’a coûté de vivre LE traumatisme de ma scolarité élémentaire :
j’ai oublié une faute ! J’avais écrit le mot entonnoir avec un seul « n »….
La sanction est tombée : 50 fois le mot « entonnoir » à copier pour le lendemain…le drame, le cataclysme, la déception d’avoir déçu mon maître…et un flot de sanglots comparable à celui qui s’était produit lorsque je m’étais rendu compte que j’avais oublié mon éponge quand j’étais au CP chez M.Gossart.
(Ma réputation de « brayoux » va encore se perpétuer)
Pour ceux qui ne seraient pas originaires du Nord : brayoux, brayousse, du verbe braire qui veut dire pleurer.
« entonnoir » à copier 50 fois fut la seule punition écrite de ma scolarité primaire. Je la dois à vous, M. Barbery.
J’y pense à chaque fois que je remplis de carburant ma tondeuse à gazon …un brin amusé, un brin nostalgique.
J’aurais certainement mérité quelques autres punitions car nous n’étions quand même pas des anges. J’en veux pour preuve ce concours régulièrement improvisé lors de notre passage aux toilettes, devant le mur qui faisait office d’urinoir. Dans une insoutenable odeur de grésil, c’était à celui qui laisserait sur le mur la trace la plus haute…
Par décence et surtout par modestie, je ne vous révèlerai pas à quel rang je me situais dans le classement de ce concours.
M. Barbery a été le dernier maître de mon école communale, dernier maître de ces années fondatrices qui nous autorisaient à espérer de la vie bien plus que ce que nos parents avaient eu.
L’Ecole Républicaine était la seule chance pour beaucoup d’entre nous et cette chance était en tous points accrue lorsque nous avions le privilège de nous compter parmi vos élèves, M.Barbery.
Plus le temps passe et plus nous avons conscience de tout ce que nous vous devons : remerciements pour tout ce que vous avez donné, reconnaissance pour votre conscience professionnelle et respect au plus haut degré pour l’homme que vous êtes.
Vous avez servi l’Ecole avec une totale intégrité.
Vous avez révélé de nombreux jeunes Bauvinois à eux-mêmes.
Vous avez fait l’admiration de vos pairs et bénéficié de la reconnaissance de votre hiérarchie.
Vous êtes toujours une forte et une grande personnalité de notre commune.
C’est à ces différents titres que nous avons voulu vous consacrer cette journée si particulière et je veux vous rappeler à quel point j’ai été fier de m’exprimer en mon nom propre et au nom de tous les Bauvinois.
Une fois encore mais certainement pas la dernière fois : Excellent anniversaire cher centenaire.
Louis-Pascal LEBARGY